Une idée, un sentiment, ne pas être sur la bonne case. Prétexte à délier un texte mais parfois, une idée est mal exploitée. D’où une alternative, ou bien l’idée et bonne et à l’instar d’une bonne graine plantée dans un terrain aride, elle n’a pas germé, ou bien la graine était de mauvaise qualité.
L’existence pourrait être imaginée tel un déplacement de pièces et pions sur les cases d’un échiquier social. En fait, sur plusieurs échiquiers, chacun représentant l’un des aspects importants de la vie en société. Professions, amours en premier, puis politique, loisirs, hobbys, activités associatives, amitiés etc. L’existence serait en quelque sorte un jeu consistant à se déplacer, guidé par une trame dont les cases se dessinent peu à peu, des cases qu’on essaie d’occuper et que parfois, on quitte pour une autre partie. Cette philosophie de l’existence colle de près à la réalité. Le jeu existentiel a ses règles, conventions sociales, culturelles et lois de la République pour l’essentiel. On joue, on perd ou on gagne mais tous ceux qui ont perdu ou gagné ont joué. Le hasard est souvent de mise. En paraphrasant Aristote et sa citation d’Agathon sur l’art, on dira que l’existence aime le hasard et que le hasard aime l’existence. La raison permet également de s’orienter en connaissance de case, une fois le jeu clairement élucidé, tandis qu’un étrange mystère semble nous amener vers une destination dont on ne sait si elle nous a été assignée par le destin (comme chez les stoïciens) la prédestination (comme chez les chrétiens réformés) ou alors la providence. Dans ce dernier cas, rien n’est joué d’avance mais après avoir joué plusieurs parties, un jeu privilégié semble nous être proposé.
Alors que destin et providence suppose qu’un décret ou contrat initial a été conclu entre Dieu et l’intéressé, sans que celui n’aie rien signé. Cette idée est étrangère à la Modernité, surtout aux Lumières axées sur la liberté du sujet, la pleine maîtrise de l’homme sur son existence, disposant de la raison et la volonté. L’éventualité de la providence, pour autant qu’on y croie, semble mieux accordée avec la liberté des Modernes. Pour les stoïciens, la liberté repose sur la capacité de l’esprit humain à pouvoir saisir où le destin l’attire et à s’y conformer dans ses actions. Cette aptitude est d’ailleurs une qualité divine que Dieu a donnée aux hommes, la seule du reste. Dans un contexte théologique tout autre, certains dont Descartes, pratiquaient des exercices spirituels pour acquérir ce don de Dieu permettant de trouver sa voie. Puis cette disposition s’est perdue alors que la Modernité allait sanctifier une liberté conçue comme libre arbitre allié à la Raison. Et peu savent ce qu’il en est de la providence. Sans doute, l’échiquier social est-il devenu hyper-complexe, avec des cases et chemins en augmentation incessante. Comment s’y retrouver dans ce dédale ?
L’existence est un jeu sur un échiquier dont les cases sont crées au cours du jeu. Parfois, un désir de finir la partie, ou du moins de jouer la même partie, se fait sentir. D’où l’expression « se caser ». Autre expression, « ne plus savoir où on habite », autrement dit, s’égarer sur l’échiquier, échoué sur une case dont on ne connaît pas la couleur, ou surpris par les coups d’autres joueurs. Dans ce jeu de l’existence, les cases ne sont pas équivalentes. Les règles évoluent et comme toujours, nous avons des mauvais joueurs ainsi que des tricheurs.
Parfois, un joueur se demande s’il est sur la bonne case, ayant le sentiment de ne pas être à la bonne place. Tel un esprit stoïque, il jauge sa propre histoire, mais sans croire aucunement qu’elle a été écrite. Il se sait doué d’une disposition, d’une capacité, d’une constitution acquise avec le labeur, l’expérience, sanctionnée par des échecs et des réussites. Soupesant la pièce de jeu qu’il sait être la sienne, il ne se sent pas en adéquation avec la case soit qu’elle ne représente pas sa valeur, soit qu’elle ne soit pas en correspondance avec une ligne de dessein. Alors, tel un voyageur fracturé, disloqué de sa route, il sait qu’il doit avancer, de case en case, poursuivre inexorablement le jeu, ignorer les gagnants, les perdants et surtout ne pas se mettre en colère contre les tricheurs, espérant que jugement sera rendu sur leur uvre.
L’échiquier social se présente ainsi comme un jeu où on rejoint des cases mais aussi où on avance, on se déplace, on joue une pièce, on développe une histoire, dans un champ plus ou moins étendu. Ne pas oublier une chose importante. Ce terrain de jeu, ce sont les hommes qui l’on bâtit, grâce à leur intelligence technique et rationnelle, en mobilisant la nature. Et si l’existence ne se réduit pas un jeu d’argent, sans argent on peut difficilement accéder au jeu, ou du moins, on se contente d’un minimum existentiel, pendant anthropologique du minimum social accordé par la charité publique. Les règles du jeu économique encadrent la circulation de l’argent. Si le jeu satisfait les uns, il paraît inéquitable pour les autres. De toute façon, la parfaite équité est un leurre. On naît avec un patrimoine vital dans un milieu social déterminé. Ensuite, il faut avancer, de case en case. Ce qui n’empêche pas de réfléchir à améliorer l’échiquier, rendre le jeu plus ouvert, les coups plus réguliers, supprimer la triche, la combine, rendre justice aux uvres de chacun, offrir à tous la possibilité de jouer et créer.
Quand les règles de l’échiquier ont été dévoilées comme « truquées » et que les joueurs veulent un autre dispositif, l’Histoire s’accomplit, avec secousses sismiques ou bien lente transformation. Les cases et les pièces se transforment lentement ou alors tout le jeu est bouleversé, avec une nouvelle règle. Inutile de se voiler la face, l’Histoire parle.
Comments