15 juin 2005
Café philo. La fracture mondiale
Si je devais retenir un thème dominant dans l’actualité, ce serait chaos et recomposition. L’année 2005 s’avère porteuse ou alors témoin de bouleversements importants largement étendus, bien au-delà de la France, l’Europe, l’Occident. Dans ce genre de situation, la prudence consiste à invoquer quelques espérance de progrès mais aussi une prudence de circonstance. Le passé nous a appris que les périodes d’instabilité ne conduisent pas vers l’harmonie et la sérénité mais plus vers des crispations, des tyrannies contemporaines sur fond de haines et de conflits. Je ne dit pas que les totalitarismes du 20ème siècle vont revenir. C’est exclu. Par contre, des régimes autoritaires et policiers pourraient assurer une intendance pendant les périodes de troubles que les analystes semblent anticiper. Voir par exemple un récent édito de Jacques Attali dans l’Express du 13/06/05 :
« La crise, là encore, aura lieu plus tôt que prévu. Elle viendra d'une généralisation de l'impatience: les politiciens souhaiteront en découdre. Les citoyens voudront qu'on s'occupe sérieusement d'eux. Les travailleurs ne se contenteront plus de solutions bricolées. Les consommateurs exigeront leur dû. Se produiront, avant deux ans, des troubles qui pourraient, après une période de désordres majeurs, faire triompher les partis de l'ordre extrême. »
Comment vont évoluer ces zones de tensions ? Le Temps défait et refait. Les hommes ont aussi des intérêts. L’économie reste quand même une planche de salut. C’est triste à dire mais si on place une liasse de billet symbolique au centre d’une table de discussion, les ententes sont plus faciles. Une anti-cène. Dans la représentation chrétienne, les apôtres sont réunis autour d’une même aspiration et le partage en découle. Dans le monde contemporain, les individus viennent pour le partage, ce qui empêche la société de se désunir.
Passage en revue des processus de division et recomposition
France : division au PS, Laurent Fabius, l’homme clé du moment, écarté. A l’UDF, Gilles de Robien écarté de la direction pour avoir participé au gouvernement. A l’UMP, Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy réunis malgré une haine tenace
Europe : le différent sérieux entre Tony Blair et Jacques Chirac est caractéristique d’une période d’instabilité. Il se pourrait bien qu’on assiste à la plus sérieuse crise depuis que l’Europe est née du traité de Rome. Menace sur le budget pour 2007-2012. Voilà pourquoi le tandem BB, Tony Blair qui va présider l’Europe et Manuel Barroso, président de la Commission européenne, ont jugé prudent de temporiser. Saine décision car dans ce genre de situation, le passage au forceps est synonyme d’avortement. L’Europe a beau se constituer comme un Empire et assumer l’héritage de la Rome antique, elle ne peut pas accoucher d’une césarienne.
Liban : recomposition assez inattendue autour du général Aoun avec des alliances politiques de circonstance. Lire cet extrait du Monde du 14/06/05 : « Le général Aoun s'est voulu rassurant en proclamant sa volonté d'"engager le dialogue avec les autres formations politiques" . Il a aussi répété qu'il ne fallait plus penser en "termes d'opposition et de loyalistes, mais en termes de conservateurs et de réformistes". A en croire les confidences de ses proches, ces alliances ne seraient que tactiques et provisoires. Le général, rappellent-ils, n'est-il pas l'antisyrien par excellence, celui qui, dès 1989, lança "la guerre de libération" contre la Syrie ? Il faudrait alors en conclure que, tout comme l'alliance contractée entre Walid Joumblatt et le Hezbollah, les alliances de M. Aoun ne sont rien d'autre que l'illustration de l'inconstance des leaders libanais et de la rapidité avec laquelle les allégeances se font et se défont au pays du Cèdre. Une preuve de "l'incroyable frivolité politique libanaise", selon la formule du quotidien Asharq Al-Awsat. »
Iran : Un récent reportage sur Arte a montré le souci de réformisme affiché par tous les candidats qui savent que sans l’appui de la jeunesse, ils n’ont aucune chance or cette jeunesse est en attente d’une souplesse de la politique, désirant mener une existence plus libérale. On assiste a une fragmentation de l’aile conservatrice. Rafsandjani fait figure de gouvernant au centre quant à son concurrent le plus sérieux, il se réclame du réformisme. La société iranienne montre elle aussi quelques distance avec les pouvoirs établis. Une situation en phase avec d’autres pays comme notamment l’Ukraine qui a fait sa révolution démocratique. Bref, l’Iran ressemble à l’Amérique, avec une aile conservatrice, une centriste pratiquant le modernisme immobile et une plus avant-gardiste. Il y aurait-il des créatifs culturels en Iran ? Nous devrions le savoir pour peu que quelques traducteurs nous informent de ce qui se dit sur les blogs iraniens
Extrait de Courrier International daté du 15/06/05 « Rafsandjani n'est pas connu pour avoir de bonnes relations avec le Guide suprême, l'ayatollah Sayed Ali Khamenei, et contrairement aux précédentes élections, cette fois-ci le régime n'a pas de candidat officiel, poursuit le quotidien. "On assiste ainsi à une fragmentation du bloc des conservateurs." D'ailleurs, "Rafsandjani a laissé tomber le discours révolutionnaire pour adopter un langage d'ouverture s'adressant essentiellement aux jeunes" qui constituent la majorité des électeurs, relève The Christian Science Monitor. »
Que penser de tout cela ? Le modernisme politique et économique a toujours engendré des crises. Depuis 1945, n’y a jamais eu de périodes harmonieuses. Justes des moments plus calmes et d’autres plus agités. On peut parler d’évolution chaotique des nations vers la « démocratie » alors que dans le même temps, le modernisme défait des positions anciennes tout en suscitant des aspirations nouvelles. La démocratie, on ne sait pas vraiment ce qu’elle est. Il n’y a pas de modèle archétypal de démocratie en ce monde même si certaines semblent plus abouties que d’autres. Il est peu probable que l’humanité parvienne à se stabiliser à moyen terme. La constitution de l’homme ne permet pas d’envisager un monde stable. Trop de désirs, de compétitions. La guerre de 1939 a conduit l’Occident vers la démocratie. Malgré les totalitarismes. L’Europe a réussi à se débarrasser des fascismes et des communismes. Les oppositions actuelles se font autour du modernisme. Pourtant, quelques signes avant-coureurs semblent annoncer un monde nouveau. Enfin, pour l’instant, c’est plutôt un avenir trouble qui se dessine. Crises politiques intérieures mais aussi internationales, avec en point de mire une Europe dans l’impasse. Des luttes entres élites, des tensions entre les peuples et leurs gouvernants, des crises sociales dont l’ampleur ne fait que croître. Bon. Cela n’empêchera pas des gens de danser sur le pont. Tant que le Titanic n’a pas coulé, il reste prétexte à faire la fête. Désolé pour cette piètre note inspirée par une actualité bien terne. Toutes mes sympathies vont au peuple iranien, parce qu’ils le méritent, surtout la jeunesse. S’il se passe des choses intéressantes lors du café actu de ce soir, je ferais un additif.
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